Comprendre les stratégies de lecture pour mieux écrire au travail

Écrire fait partie de votre vie professionnelle ? Et vous aimeriez être sûr que votre destinataire ne rate aucun élément important de ce que vous lui avez écrit ?
Pour cela, il y a une chose à faire, et à laquelle on ne pense pas assez souvent : anticiper sur la stratégie de lecture de son lecteur. C’est en effet la meilleure façon d’être sûr d’être lu. Pour le dire simplement : dis moi comment tu lis et je saurais comment écrire !

Des recherches de François Richaudeau, créateur du Centre d’Études et de Promotion de la Lecture et du laboratoire d’études des comportements des lecteurs, ont démontré qu’un lecteur ne lit pas de la même façon un roman, une page de magazine comme on « lit » un annuaire ou un document professionnel. Connaître ces stratégies de lecture, c’est donner plus de chances à notre écrit professionnel d’atteindre son objectif (un écrit de travail est un acte de communication).

Ne perdons pas de vue que le lecteur qui nous intéresse est en situation de travail : il lit votre document parce qu’il y est contraint de par ses fonctions ou de ses responsabilités. Et d’ailleurs, si vous – comme moi d’ailleurs – avons rédigé un écrit professionnel, c’est bien parce que cela fait aussi partie de nos propres responsabilités professionnelles. Donc ce qui va nous intéresser dans ce billet, c’est de comprendre la stratégie d’un lecteur dans un contexte professionnel.

Quelles sont les différentes stratégies de lecture ?

Pour répondre à cette question, le plus simple est de reproduire ce tableau de François Richaudeau : il montre que tout lecteur non-débutant adapte sa façon de lire au type de document qu’il a sous les yeux.

En pratique, cela montre que l’œil du lecteur appréhende de façon différenciée « Harry Potter », le journal « le Monde », « Le potentiel infini de la physique quantique », la lettre de motivation d’un candidat… ou les horaires de son train un jour de grève de la SNCF !

Ce tableau montre que la lecture d’un document est :

  • Soit intégrale : le lecteur lit chaque mot est lu, d’où la nécessité d’y consacrer beaucoup de temps. La lecture intégrale envoie beaucoup d’informations au cerveau, ce qui encombre la mémoire de nombreux détails.
  • Soit partielle : le lecteur sélectionne les informations intéressantes. Ce qui lui permet de lire rapidement et de se concentrer sur les informations essentielles.

Vous l’aurez compris, un écrit de travail, un écrit utilitaire se lit en mode « lecture partielle ». Bien sûr, a priori, toutes les informations d’un écrit peuvent intéresser le lecteur. Mais, en contexte professionnel, toutes ne sont pas essentielles pour qu’il comprenne le sens et les attendus du message. C’est pourquoi un lecteur professionnel met toujours en place une stratégie de lecture qui lui permet de sélectionner les seules informations qui peuvent ou l’intéresser ou bien lui être utiles.

Quelles sont les stratégies de lecture d’un lecteur professionnel ?

Décryptons quelques-unes de ces stratégies de lecture : celles qui sont si courantes chez les lecteurs professionnels que ce serait une erreur de ne pas en tenir compte dans la façon d’écrire votre texte de travail. Pourquoi ces stratégies sont courantes ? Simplement parce qu’elles permettent de lire plus vite : la majorité des lecteurs professionnels sont des lecteurs rapides.

C’est pourquoi, en situation professionnelle, le lecteur opte toujours pour une lecture partielle (la lecture intégrale prendrait trop de temps), deux stratégies de lecture sont largement utilisées :

  • La stratégie de repérage (ou lecture partielle de recherche).
  • La stratégie d’écrémage (ou lecture partielle sélective).

Leur point commun de ces stratégies : elles ont pour but de repérer une ou des informations essentielles rapidement, c’est-à-dire sans lire un texte en entier.

  • Quand le lecteur est en mode repérageil sait ce qu’il cherche et fait une lecture exploratoire : recherche une information spéciale, celle-là uniquement et il ignore toutes les autres. La lecture en repérage est typique de celle que l’on pratique pour chercher un mot dans un dictionnaire ou un nom ou numéro de téléphone dans un annuaire.
  • Quand le lecteur est en mode écrémage, le lecteur sait plus ou moins ce qu’il recherche (mais pas sous la forme d’un terme précis). Le lecteur lit peu de mots, mais ces mots lus sont des passages importants et/ou des informations clés, qui à eux seuls lui permettent de se saisir du sens du document. L’écrémage, c’est l’art de lire seulement ce qui est important dans un texte, c’est « la réduction du nombre de mots lus sans que la compréhension générale du texte en souffre«  (Richaudeau, « Méthode de lecture rapide »).

Comment se pratique une lecture en repérage ou en écrémage ?

  • Concernant la stratégie de repérage, le lecteur utilise la technique du balayage vertical, c’est-à-dire que l’œil parcourt un texte de haut en bas, en suivant tantôt la marge de gauche, tantôt le centre en fonction de l’information recherchée. Ce type de balayage est surtout approprié pour la lecture de textes en colonnes, tels les journaux, les revues, etc. Il est ainsi très efficace pour repérer un nom, un indice, une statistique.
    Exemple d’un lecteur qui recherche les personnes qui ont inspiré François Richaudeau :
Le balayage vertical vise à obtenir des informations précises.
Source de l’extrait : Nicolas Taffin, « François Richaudeau. Un homme-livre » , Hermès, La Revue 2012/2 (n° 63), p. 226-227.
  • Concernant la stratégie de l’écrémage, le lecteur utilise le balayage diagonal.
    Avec cette technique, le lecteur parcourt le texte rapidement, de façon non linéaire ; il recherche les phrases importantes, c’est-à-dire celles contenant une information utile à la compréhension du texte. Pour cela, son œil va-et-vient de gauche à droite en balayant la page en diagonale ou en zigzag à la recherche des mots-clés du texte.
    Exemple d’un lecteur qui recherche les mots-clés pour comprendre l’apport des études de François Richaudeau sur la lecture :
Source : Nicolas Taffin, « François Richaudeau. Un homme-livre », Hermès, La Revue 2012/2 (n° 63), p. 226-227.
Qu’est-ce qu’un mot-clé ?

En fonction du contexte professionnel, un mot-clé pourra être un nom, une date, un concept, un terme professionnel. Souvent, pour « sentir » un mot-clé, le lecteur va le rechercher dans l’introduction et la conclusion. Pourquoi ? Parce que quel que soit le texte, les informations les plus importantes figurent toujours soit au début, soit à la fin d’un écrit.

  • Un mot-clé pourra aussi être une phrase de transition (Il faut également considérer, cela posé, par ailleurs,…) ou encore des mots de liaison (comme, cependant, toutefois, par contre, par conséquent, donc, etc.).
  • Un mot-clé pourra aussi être une conjonction de subordination, notamment si elle marque une transition dans le développement (parce que, de sorte que…) ou exprime une argumentation (en revanche, cependant,…).
  • Le signe de ponctuation peut aussi être signal. Par exemple l’usage de «  : » peut ouvrir sur une énumération ou des exemples, des guillemets peuvent signifier que des propos tenus à l’oral sont reproduits ; en fonction du contexte, le lecteur choisira de lire ou au contraire de « sauter » les phrases contenant ces éléments clés.
  • Le mot ou l’expression-clé agit comme un signal, comme une « interpellation » qui stoppe (ou au moins ralentit) le balayage visuel et qui permet au lecteur de lire quelques phrases en lecture intégrale.

De la lecture en balayage à la lecture intégrale

Une fois que le mode balayage en diagonal à permis de trouver rapidement une information essentielle dans le texte, le lecteur revient à une lecture intégrale. C’est-à-dire qu’il lit à fond ce qu’il considère être comme une phrase importante (elle est importante puisqu’il y a un mot-clé dedans !).

Mais la lecture intégrale reste limitée aux phrases – ou portions de phrases – importantes (celles à proximité des mots-clés). Ensuite, le lecteur reprend son balayage à la recherche de nouveaux mots-clés. Il ne s’intéresse pas aux phrases de détail, c’est-à-dire les phrases qui entourent les phrases importantes. Elles n’apportent que des informations complémentaires qui sont secondaires pour la compréhension des idées de l’auteur. Le cas échéant, le lecteur y reviendra quand il aura le temps de tout lire.

Chaque point rouge marque un mot ou un groupe de mots que le lecteur a considéré comme nécessaires à la compréhension du texte (lisez uniquement les mots en gras : ces sont les idées clés du texte nécessaires à sa compréhension globale. Le lecteur pourra ensuite choisir de relire attentivement un ou plusieurs passages plus – lecture intégrale).

Les lectures en balayage requiert de l’entrainement et de la pratique afin de reconnaitre visuellement les mots, sans les découper en syllabes ni les prononcer, même mentalement. Ce qui n’est pas si évident pour nous, du fait d’un apprentissage de la lecture qui est passé par une phase de déchiffrage des syllabes puis des mots. Ce qui fait que la plupart des lecteurs lisent toujours mot à mot, un mot à la fois.
La plupart des lecteurs … Mais pas les lecteurs professionnels qui agissent en stratège. Ceux-là savent que tout texte est jalonné de phrases importantes qui lui donnent son sens ; ce sont uniquement ces phrases là qu’ils veulent lire (en tout cas dans un premier temps).

Pourquoi un lecteur professionnel agit en stratège ? Parce que cela lui permet de lire vite, donc de lire plus. Il gagne du temps, oui mais aussi de concentration. En mode lecture rapide, le cerveau est toujours alimenté : le lecteur reste attentif sans effort. Tandis qu’en cas de lecture lente, le cerveau s’ennuie et s’échappe : on pense à autre chose que sa lecture. C’est comme ça qu’on arrive ainsi à la fin d’un texte en ayant oublié le début !

Le cas particulier des textes longs (rapports, comptes rendus)

Pour des documents plus longs et élaborés, le lecteur effectue une première lecture dite de survol  (laquelle précède alors le balayage en diagonale).

Ainsi, la technique de « survol » permet au lecteur, dans un temps relativement court, de se saisir de l’organisation du texte, d’avoir une idée générale du contenu du texte, de repérer les idées principales du document, et donc d’évaluer l’intérêt du document à lire.

Lors de la lecture en survol, le lecteur s’intéresse aux informations suivantes :

  • Qui ? (l’auteur) :  titre du document.
  • Pourquoi (quel est l’objectif de l’auteur) : préface, quatrième de couverture,.
  • Quoi (le contenu) :  sommaire, titres et les sous-titres de chapitres, paragraphes de début, paragraphes de fin, paragraphes « au hasard » au milieu.

Ensuite, le lecteur entre dans une stratégie de lecture en balayage diagonal.

Quelle est la leçon d’écriture à retenir de ces stratégies de lecture ?

C’est au lecteur de repérer les informations essentielles d’un document mais c’est aux auteurs de l’imprimé (ceux qui l’écrivent, l’impriment, le composent) de faciliter ce travail de lecture partielle et sélective.

On ne peut pas mieux dire que Richaudeau. Quels sont les éléments qui vont faciliter le travail de balayage du lecteur, en lui permettant de rapidement repérer les éléments importants ou essentiels du message, qui lui permettront de parfaitement le comprendre, sans l’avoir lu intégralement ?

  • Un plan repérable avec des titres et des sous-titres.
  • Des paragraphes structurés : une idée et son développement.
  • Les signes de ponctuation : le point, le point-virgule, le tiret facilitent la stratégie du lecteur.
  • Des blancs qui séparent les paragraphes.
  • Des mots ou expressions clés mis en valeur (caractère gras, puces, mises en marge).

Tous ces éléments facilitent le travail de balayage du lecteur : ils sont comme un « signal d’alerte » qui arrête son œil sur le mot et le faire passer de la lecture de balayage à celui de la lecture intégrale.

À chaque fois que vous rédigez un écrit professionnel, vous savez exactement où se situe le ou les messages particulièrement importants dans votre écrit.
Si vous voulez être sûr qu’ils soient lus par votre destinataire, penser à utiliser des signaux d’alerte autant que possible. Notamment les mots ou expressions clés sur lesquels il s’appuiera, quelle que soit sa stratégie de lecture.

Surtout n’oubliez jamais : n’attendez jamais de votre lecteur qu’il fasse un effort pour lire votre texte !

Pour continuer, découvrez « 8 règles simples pour bien présenter un texte » afin d’améliorer la qualité de la présentation des documents professionnels.

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