En d’autres termes : lâchez-nous avec le style littéraire !
« Nous », c’est vous, c’est moi, ce sont toutes celles et ceux qui doivent écrire dans un contexte professionnel. Nous, les rédacteurs anonymes qui rédigeons des écrits de travail, des écrits utilitaires, des écrits fonctionnels, des écrits non fictionnels… bref, des écrits ordinaires.
Nous les écrivons parce que nous devons le faire au regard de notre fonction, de notre mission ou de nos responsabilités.
Ce sont des écrits ordinaires parce que ce sont des documents pratiques destinés à la communication d’informations entre acteurs et/ou partenaires d’un système de production. Ce système, c’est le plus souvent l’entreprise (avec tous ses acteurs internes et externes) et l’Administration avec un grand A (autrement dit, l’ensemble des personnes morales – État, collectivités territoriales, établissements publics…- et physiques – fonctionnaires, contractuels… – qui accomplissent des activités au nom de l’intérêt général de la population).
Les écrits travail ou utilitaires ou fonctionnels sont utiles : informer, résoudre un problème ou amener le lecteur à réaliser une action concrète.
Ces écrits sont au service de l’information émise et non au service de celle de son auteur.
Et c’est bien là LA différence avec un écrit littéraire. L’écriture est pour l’écrivain le moyen de transmettre un récit, une intrigue, une description, un portrait, un sentiment, une émotion qu’il souhaite partager avec ses lecteurs. Libres à ces derniers de réagir, voire d’interpréter librement ce qu’ils lisent.
Au fait, c’est quoi, un texte littéraire ?
À quoi reconnaît-on un texte littéraire ? Une bonne définition, qui a le mérite d’être explicite, vient du blog d’une classe de… CM2 :
Au-delà de la définition tout à fait pertinente donnée sur ce blog, vous constatez que les écrits non littéraires sont définis en 20 mots quand il en faut 3 fois et demi plus (71 exactement) pour définir les écrits littéraires.
Cette importance accordée au genre littéraire, nous la subissons tout au long de notre scolarité, du primaire jusqu’au lycée. Elle agit comme une norme que nous avons intériorisée et à l’aune de laquelle nous nous mesurons quand nous devons rédiger. Ainsi, on en vient à avoir peur d’écrire parce que nous ne maîtrisons pas les codes du style littéraire. Alors que nous n’en avons pas besoin pour rédiger des écrits de travail.
Grandeur de l’écrit littéraire, bassesse de l’écrit ordinaire
Grandeur de l’écrit littéraire, bassesse de l’écrit ordinaire ! Mais pourquoi le style littéraire la référence absolue du savoir écrire ? Parce que nous sommes en France ! La France est le pays de la grandeur littéraire, une « nation littéraire où le fétichisme de la langue est depuis des siècles, constitutif de l’unité nationale » (Le Monde, 13/02/2016).
Le style littéraire y est la référence absolue du bien-écrire, avec :
- un langage soutenu (celui qui s’appelle aussi littéraire ou recherché) qui utilise des mots compliqués et/ou raffinés. La construction des phrases en langage soutenu est généralement complexe avec l’usage de temps particuliers (passé simple, plus-que-parfait du subjonctif…). Exemples :
Ton idée me ravit ! Du parler ancré dans l’instant au parler scriptural – Un référentiel bondissant — Je me suis sustenté il y a peu.
L’Administration n’est pas en reste quand elle utilise des termes comme nonobstant, arguer du fait que, faire fond sur, délai de rigueur, s’il advenait que… - des procédés littéraires et des figures de styles dont l’objectif est simplement esthétique ou bien de « faire de l’effet » sur son lecteur. Il s’agit alors de tonner un ton particulier au texte : dramatique, ironique, polémique… Exemples :
Le soleil lance ses rayons tels des dards. Il brille de mille feux. -La fête de Noël arrive à grands pas. Poisson, mon bel ami, vous irez dans la poêle. Le clair-obscur. La forêt gémit sous le vent — Je suis dans de beaux draps !
Entre 10 et 18 ans, sauf à échapper au système scolaire, nous sommes éduqués avec cette idée de la suprématie de l’écrit littéraire sur toutes les autres formes d’écrits. Manier la langue écrite est le signe distinctif de son niveau d’instruction. Du coup, nous sommes nombreux à être convaincus qu’écrire dans un style littéraire est l’expression d’un niveau culturel élevé. D’où la phrase mille fois entendue « Désolé, je ne sais pas écrire ; je n’ai jamais été un littéraire » énoncée par tous ceux qui veulent éviter de passer pour un plouc en écrivant dans un style ordinaire.
Le style littéraire ne sert pas à grand-chose dans un écrit de travail
Est-il besoin d’être un littéraire pour bien écrire au travail ? Pas si on en croit ce lycéen anonyme : « On nous fait faire des dissertations. Je me demande bien à quoi ça me servira pour écrire un mail à un client ! ».
Eh oui, un écrit ordinaire doit frapper vite et bien (Richaudeau) afin de pouvoir être lu et compris rapidement, et ainsi d’être utile pour son destinataire. Et pourtant, même dans un contexte professionnel, on pense qu’écrire des phrases alambiquées avec des verbes au passé simple, ou même pas de verbe du tout, « ça fait mieux » ou « plus sérieux » vis-à-vis du lecteur.
Pas si sûr quand on lit les exemples (anonymisés si besoin mais tout à fait authentiques) ci-dessous :
– Enfin, l’heureuse conclusion de mon stage s’est fait sentir lorsque je parvins à être autonome : faire face à tout type de clients, à un grand nombre de questions, à obtenir des caisses justes, et établir des contrats sans erreur… Cette autonomie, si elle avait représenté mon objectif, a également résonné comme le point d’orgue de mon stage. |
– La première chose, et pas des moindres, est sa clientèle. Même si cela fut aussi une source d’anxiété. |
– Comme sus-évoqué, une de nos difficultés commerciales est liée à… |
– L’inauguration de XXX fut marquée par le discours dithyrambique du Président de la Fondation XXXX |
– Les motivations de M. X à nous intenter un procès sont quelque peu absconses |
– On notera l’impact pernicieux de cette décision unilatérale sur le temps de travail. |
Quelque part, les auteurs de ces lignes sont des victimes tant notre société nous renvoie une image idéalisée du style littéraire. La littérature dispose pour cela d’un symbole fort et omniprésent : le livre. Or, dans notre culture, un livre ne peut pas être un écrit ordinaire : « Les gens sont toujours impressionnés par le livre et cette sorte de magie, presque de religiosité qui l’entoure » explique l’historien français Benoît Yvert. Ce qui explique sans doute pourquoi tant de femmes et d’hommes politiques tiennent à écrire un livre…
Mais écrire dans un style littéraire ne sert pas à grand chose dans un écrit de travail, qui n’a pas d’autre finalité que celle de transmettre une information à vocation utilitaire. D’ailleurs, il ne faut jamais oublier que dans un contexte de travail, celui qui vous lit est aussi un professionnel. Vous lire fait partie de son travail. Qu’il est envie de faire ou pas, cela fait partie de son mandat ou de sa mission.
L’écriture de travail requiert des règles spécifiques de préparation (choix du plan, des idées à conserver) et de production (souci de la forme : concision et de la clarté). Rien à voir avec le talent ou le hasard, seulement avec l’application d’outils et méthodes.
À commencer par du vocabulaire adapté au destinataire et un style sobre et factuel : les écrits de travail ou professionnels ou de travail n’existent que pour seule et excellente raison : ils transmettent des informations utiles pour celui qui les lit.
Alors oubliez le style littéraire. Ne faites pas comme dans les livres. Écrivez simplement pour être lu et compris.
[mailpoet_form id="1"]